Cinq livres pour les jeunes citoyen.ne.s du monde

Amaël Cognacq
A.E.D
Published in
5 min readMar 27, 2021

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Vous voulez travailler dans l’aide humanitaire ? Le développement international ? La coopération Nord-Sud ? Avoir un métier qui ait un impact ? Qui apporte un changement réel ? Être un.e citoyen.ne du monde qui lutte contre les enjeux globaux de notre époque (réchauffement climatique, inégalités structurelles, conflits armés, …) ? Ces secteurs sont en plein essor et promettent une carrière riche en évolutions, en apprentissages continus, en séjours à travers le monde…

Moi-même, ce milieu m’attire et terminant actuellement un master en études du développement, je m’apprête à en faire partie. C’est donc depuis ma position d’étudiant français en fin de M2 que j’écris cet article. Durant mes 18 mois d’études, je n’ai certes pas lu autant que je le désirais à côté des cours, mais j’ai fait quelques lectures qui m’ont grandement faites avancer dans mes réflexions et que je souhaite partager ici.

Sociologie, sciences politiques, histoire, philosophie, géographie… Puis critique postcoloniale, féministe antiraciste, décoloniale, postdéveloppementale, internationaliste radicale… Les cinq livres dont je parle se positionnent sur des thématiques et dans des courants de pensée différents. Ils ont cependant un point commun : celui de déconstruire le monde du développement. Chaque auteur.e construit sa rhétorique avec des concepts propres à sa discipline, voire en crée de nouveaux, mais à travers leurs réflexions se profilent, selon moi, une vision commune pour une compréhension du monde davantage holistique et critique et pour un engagement davantage instruit et inclusif.

Je recommande donc vivement de lire, de débattre et d’écrire sur ces livres (et bien d’autres). N’hésitez pas d’ailleurs à me contacter pour en parler, ou pour me conseiller des lectures. Je suis bien loin d’être arrivé à des conclusions en ce qui concerne le monde du développement, mais j’ai au moins l’impression d’y entrer avec un peu moins de candeur et un peu plus d’esprit critique qu’à mon arrivée en Master.

Voici donc la liste, par ordre de parution.

“Le développement : histoire d’une croyance occidentale”, Gilbert Rist, 1996

Grand classique de l’institut des études du développement de la Sorbonne, le livre de Rist vise à déconstruire la vision du développement international comme un fait naturel et positif. Il explique son histoire depuis 1944, les courants qui l’ont parcouru, dénonce les échecs répétés des politiques de développement et les idéologies évolutionniste et occidentalo-centrées des pratiques développementalistes. Son livre fait écho à la vision développée par Jean-Pierre Olivier de Sardan dans son ouvrage publié un an plus tôt, Anthropologie et développement: essai en socio-anthropologie du changement social (le prochain dans ma liste de lecture). En conclusion, Rist propose trois approches pour sortir du développement dont je parle dans un autre article. 25 ans plus tard, on ne peut pas dire que ses critiques aient été entendues ; elles restent ainsi tout aussi pertinentes, d’autant plus que l’auteur a ajouté au fil des rééditions des chapitres sur le développement durable, la globalisation, les ODD et la décroissance.

“A Radical History of Development Studies: Individuals, Institutions and Ideologies”, Uma Kothari, 2005

Quand j’ai demandé à une professeure en études du développement de l’Université d’Oxford quel était le livre qu’elle faisait lire à tous.tes ses étudiant.e.s — son Rist, en somme — voici le livre qu’elle m’a recommandé. Cette collection rassemble neuf essais de chercheur.se.s aux profils divers mais tout de même ancré dans une vision postcoloniale. Le troisième chapitre, écrit par Uma Kothari (l’éditrice de l’ouvrage), vise par exemple à examiner l’héritage colonial des études du développement. L’ouvrage dans son ensemble resitue le développement dans une continuité historique d’échanges mondiaux inégaux et analyse les pratiques et idéologies développementalistes actuelles. Chaque chapitre porte sur un thème, citons la montée du néolibéralisme, le discours sur le développement durable, le gender mainstreaming ou encore l’impérialisme de la Banque mondiale. L’ouvrage est dense mais apporte un précieux regard critique sur les formes actuelles du développement.

“Un féminisme décolonial”, Françoise Vergès, 2019

Cet ouvrage percutant vise à expliquer les fondements du courant féministe décolonial, un mouvement intersectionnel qui vise à comprendre et à lutter conjointement contre les dominations de classe, de genre et de race. Il s’oppose à ce que Vergès nomme le féminisme civilisationnel des sociétés occidentales qui entend lutter contre les inégalités de genre, la misogynie et le patriarcat dans le monde et sauver les femmes du Sud global, mais sans prendre en compte les rapports de force autres que le genre qui s’opèrent. Antiraciste et anticapitaliste, le féminisme décolonial a pour sujet le débat sur le port du voile et ses dérives islamophobes, le corps des femmes de ménages racisées qui remplacent les femmes blanches dans le travail du care, ou encore les politiques de développement qui prônent l’empowerment des femmes, souvent sans chercher à comprendre et à traiter les racines de leur pauvreté.

“Une écologie décoloniale — Penser l’écologie depuis le monde caribéen”, Malcom Ferdinand, 2019

Ce livre offre à penser de manière commune les différentes luttes de classe, genre et décoloniales et les luttes écologiques. Selon l’auteur, il existe un lien entre les enjeux écologiques contemporains et l’émancipation de la fracture coloniale. Il rappelle que le consensus actuel du rapport d’exploitation entre l’Homme et la Terre a été imposé par une minorité d’hommes européens au reste de l’humanité au cours des cinq derniers siècles. S’inspirant d’exemples des Caraïbes et notamment de l’empoisonnement au chlordécone, il souligne l’importance d’une pensée intersectionnelle pour analyser la source des inégalités liées à l’environnement. Cet ouvrage ne parle pas directement de développement, mais apporte des éléments de réflexions essentiels à mes yeux pour les futur.e.s acteur.trice.s du développement durable. Voir une revue plus exhaustive que j’ai écrite sur ce livre ici.

“Perdre le sud — décoloniser la solidarité internationale”, Maïka Sondarjee, 2020

Le bouquin idéal en fin d’études du développement ! Sondarjee propose une vision politique de gauche pour la coopération internationale qu’elle nomme l’internationalisme radical et qui se veut notamment anticapitaliste et écologiste. Elle fait le constat des dégâts du néolibéralisme à l’ère de la mondialisation et de l’explosion des inégalités à l’international. Plutôt qu’une simple critique des organisations internationales, des ONG et de la coopération bilatérale, Sondarjee appelle à une refonte de l’ordre mondial institutionnalisé ainsi qu’à une hausse de la redistribution internationale des richesses. L’universalisme politique, l’internationalisme méthodologique et le féminisme décolonial qu’elle promeut vise à une solidarité radicale et une justice sociale globale pour une “coopération couplée d’une transition globale vers un système différent et une réhabilitation des savoirs marginalisés”. Elle propose enfin des actions concrètes pour y parvenir.

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Amaël Cognacq
A.E.D

Website : amaelcognacq.wordpress.com — I write my small answers to the big issues that obsess me in politics, development, literature, art, LGBTQ, …